Les salines de la commune de Feraoun
Timellahin ou les salines d’Imellahen, Amacine (commune de Feraoun coloniale et temporaire actuelle) sont établies au pied du mont Mghendas, à l’extrême sud de la Soummam, en Kabylie (Algérie). Leur spécificité géologique, appuyée au su et au vu de tout le monde, révèle un sous-sol rocheux et sédimentaire essentiellement constitué de carbonate de calcium, laissant ainsi surgir à la surface de multiples sources de l’eau salée qui ne se tarissent pas à nos jours en trois villages : deux sites d’Ichekaven, et un site d’Iaadnanen et d’Ait Ounir conjointement. Néanmoins, ces sources sont susceptibles à l’extinction définitive et pourraient très bien tarir un jour à l’encontre d’un simple tremblement de terre qui obture l’exutoire.
Au fil des siècles, les habitants nichés sur ces crêtes de la kabylie, appartenant à la lignée des premiers ancêtres installés, d’où les noms sont Mussaoui et Mohand Waɛli Achekav, saisissent habilement cette aubaine agricole, tout en l’exploitant par un art traditionnel rarissime aussi prodigieux et fascinant que celui exercé par les agriculteurs du sel, les descendants de la civilisation indienne (amérindienne). Celle-ci se situe à l’extrême ouest de la planète, en Amérique latine (Pérou), datant seulement de treizièmes siècles A.D, mais ne détenant aucun lien historique, culturel, linguistique, géographique ou autre avec Timellahin kabyles.
En visionnant ce modeste documentaire de court-métrage, vous constaterez comparativement que Timellaḥin kabyles fonctionnent un peu à la manière des marais salants qui se trouvent en Europe -l’île de Gozo en Malte ou ceux de la Guérlande en France à titre d’exemple-, dans la mesure où le sel est produit sous l’effet de l’évaporation de l’eau salée s’étalant aux rayons du soleil estival aigu. Pour autant, la seconde similitude avec lesdits marais réside dans les méthodes et les techniques utilisées dans cette activité de l’exploitation : déploiement d’un effort physique le long du processus de la production, consistant principalement à bien terrasser et aménager des bassins de faible profondeur (de 3 à 5 cm), dans le but évidemment d’assurer une plate-forme compacte et imperméable. Finalement, le tiers élément commun est la façon de faire rassembler, autour des parois, des tas de sel sous forme de monticules blancs cristallisés en ayant recours à des outils agricoles, tels que la lousse.
À l’inverse des marais salants dont la source de l’eau salée est la mer ou l’océan, celle des salines d’Imellaḥen (en Kabylie), d’ailleurs telle celle de Maras, est à l’origine souterraine : l’eau très salée provient du flanc de la montagne nommée Mghendas via des sources que l’on abrite et que l’on achemine par la suite sous forme de rigoles canalisées aux creux des bassins de différentes directions, qui s’étendent majestueusement sur une si large surface. Un labeur dur et tout à fait traditionnel : les pieds nus dans l’eau salée, le dos courbé, les saliniers raclent alors le fond des bassins sous la chaleur solaire journalière intense ou vers la fin de de la journée avant d’y faire monter leurs récoltes à dos de mulets, en empruntant les sentiers des champs du plateau jusqu’à leurs propres habitations de proximité.
Quand on parle de ces sources du sel, celle du village Ichekaven fascine autant ses habitants que toute autre personne étrangère y rendant visite. Une architecture singulière qui nous rappelle étrangement les empreintes romaines incrustées en Kabylie, à Tipaza ou ailleurs en Algérie. Interrogés sur cette structure pyramidale particulière, mais aussi sur la genèse de telles sources historiques, les vieux hommes de la région se focalisent tantôt sur des explications peu persuasives et tantôt sur une argumentation dissuasive ou plutôt religieuse et mystique. Quoi que l’on dise de cet héritage séculaire qui se transmit d’une génération à une autre, et qui nous décèle ses secrets et ses merveilles recelés à travers les âges, sa structure architecturale demeure un vestige exceptionnel et vivant qui porte l’énigme archéologique en lui-même, et ce, depuis l’époque lointaine des Romains. À tire indicatif, la même architecture romaine s’applique similairement à la fontaine de l’eau potable patrimoniale qui se situe au même village, soit Ichekaven, nommée Tala n Bi3eqqal.
Bien que cette activité se pratique périodiquement d’une saison d’été à une autre, les salines d’Imellahen offrent un panorama somptueux qui pourraient être un site touristique des plus envoûtants autant que les salines de Maras au Pérou, dès lors qu’elle servait comme une monnaie d’échange indispensable depuis leur création ancienne et mystérieuse, sillonnant l’âge médiéval voire jusqu’à la récente décennie. Cette denrée était sans doute, jadis, tout aussi précieuse qu’elle était au même moment ailleurs en Europe ou en Amérique latine, mais sans être en aucun cas un équivalent de richesse sociale ou économique. Sinon, ces sites ancestraux constituent un patrimoine archéologique et doit être impérativement traité comme tel.
Les salines patrimoniales d’Imellaḥen ne sont pas une mythologie. Or, Il convient aujourd’hui d’y remettre objectivement en cause les possibilités qui élucident l’existence des sources de l’eau salée, tout en écartant l’hypothèse métaphysique et/ou religieuse dépourvue du moindre appui scientifique. Dans cette optique, conformément à une thèse établie par un spécialiste en géologie, en voici un extrait éclaircissant la mutation des couches géologiques du sol : « Le plissement des zones contenant du sel enfouit dans le sous-sol une poche d’eau salée, ou une nappe d’eau salée, celle-là est entourée d’une paroi rocheuse complètement imperméable, cette poche d’eau liquide ou cette nappe logée dans les interstices de roches est fossilisée et ne se renouvelle pas, mais au cours de l’histoire géologique, une fissure (une faille par exemple, la zone du sel est très sujette à des tremblements de terre) ouvre une voie dans la paroi imperméable, et l’eau salée s’écoule alors vers la surface et forme ainsi une source … ». Dans ce contexte, de nombreux forages et/ou puits, effectués par des particuliers d’une manière sporadique dans la région (surtout au village Ichekaven), montrent un relativisme au théorème précédemment indiqué : on y constate à maintes reprises la présence à foison de roches calcaires sédimentées et de l’eau salée ou douce. D’ailleurs, la source d’Ougoug est l’exemple le plus soutenable à en citer, sauf que l’eau qui en découle est non potable, à moins que la source soit le mont Mghendas ou encore les régions limitrophes dénuée de cet attribut distinct.
D’un point de vue nutritionnel, il est sans doute nécessaire d’y évoquer brièvement les vertus et les inconvénients collectés de ce composé chimique « chlorure de sodium » (NaCl, le compagnon de notre nourriture de tous les jours. Les bienfaits santé du sodium incluent une bonne performance du cœur, le bon fonctionnement du système nerveux et l’absorption du glucose.
Par contre, la consommation excessive du sodium pourrait entraîner une hypertension artérielle, une dégradation rénale et des problèmes cardiovasculaires. À une portée indicative, l’iode, qui suscite encore tant de polémique, est un oligo-élément indispensable à la fabrication des hormones thyroïdiennes. En cas de carence ou d’excès en cet élément, la thyroïde grossit et un goitre se forme. Cependant, on trouve beaucoup d’iode dans les algues, les poissons, les crustacés, les haricots verts, les laitages, etc. (Source : OMS)
À l’échelle mondiale, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et l’Unicef recommandent relativement l’iodation universelle du sel comme la solution la plus économique et la plus efficace pour la prévention de la carence en iode. Rappelons, en effet, que si ce risque fréquent dans certaines régions montagneuses d’Europe (Suisse, Jura, Alpes, Balkans), y a pratiquement disparu depuis l’utilisation du sel iodé, il persiste encore dans d’autres régions du monde en raison de l’absence de cet élément vital. (Source : OMS)
Contrairement au sel marin naturellement iodé, celui d’Imellaḥen ou de Maras (souterrain) ne l’est pas. C’est pourquoi, des journées de dépistage et de conscientisation organisées par l’Association Culturelle Lbacir Amellah (ACTBA) se sont tenues en 2011, à Imellaḥen. L’initiative consiste à prévenir justement les habitants de la région des risques encourus, entre autres, de la carence en iode dans l’organisme. De ce fait, il était important de les aviser de la nécessité de compenser le sel dépourvu de l’iode par une consommation suffisante d’autres aliments qui le contiennent.
Dès lors que le sel d’imellaḥen est concurrencé par le sel marin et le sel gemme exploité industriellement dans diverses mines du sel, puis une abstraction faite de Si Σbella Aɛednan comme étant l’un des ultimes saliculteurs de Timellaḥin qui cultive, transporte et vend encore du sel récolté d’un village à un autre, à l’aide de son fidèle mulet, l’exploitation de nos salines aujourd’hui est si peu rentable et la quasi-totalité de ses agriculteurs abandonnent l’activité, voire même l’entretien de leurs bassins défectueux respectifs. Ceux-ci nécessitent par ailleurs rien qu’une once de conscience et de volonté afin d’y ajuster leur valeur intrinsèque et de faire valoir sa juste historicité au-deçà de son aspect scientifique.
En guise d’une alternative palliative, la collaboration citoyenne effective et l’intervention apolitique des autorités locales sont plus que jamais requises, en spécifiant un budget adéquat à cet égard. L’objectif premier est d’appuyer les saliculteurs en posant en place, à tout le moins, une clôture protectrice visant la restriction d’accès hasardeux. L’approche, entre autres, pourrait remédier à la désolante dégringolade et à la défaillance de l’industrie du sel subies au niveau de ces sites, précieusement rarissimes, d’Imellahen : la mémoire collective de la société kabyle.